Dans un contexte économique morose qui devrait voir finir l’année sur une récession du PIB français de l’ordre de 10%, paradoxalement, le nombre de défaillances d’entreprises est actuellement au plus bas (50% de moins que l’année passée) – quant aux cours de bourse, leur résilience ne manque pas de surprendre.
Hormis quelques secteurs bien identifiés (tourisme de masse, loisirs hors domicile, évènementiel, aéronautique), il semblerait qu’une partie non négligeable de secteurs soient dans une dynamique de retour à la normale : le chiffre d’affaires, dans beaucoup de secteur, serait proche (à 95%) de la normale.
Si on ajoute les soutiens actifs, rapides et conséquents de l’Etat, il apparait aujourd’hui difficile d’évaluer avec précision l’impact réel du COVID-19 sur les valorisations de la plupart des entreprises.
Dans ce contexte, les arrêtés comptables 2020 risquent d’être un exercice délicat, notamment sur la partie concernant les tests de dépréciation.
Toutes les entreprises, petites comme grandes, cotées ou non cotées, sous référentiel comptable international comme français, se doivent d’effectuer des tests de dépréciation – dits « test d’impairment » – sur les principaux actifs inscrits à l’actif de leur bilan. Cette analyse doit être menée par la société (ou l’expert-comptable de la société) avant d’être auditée par les commissaires aux comptes.
En période de croissance économique, l’exercice qui consiste à s’interroger sur l’existence de certains indices de pertes de valeur, est relativement simple et rapide, puisque tous les indicateurs sont au vert.
A contrario, dans un contexte COVID-19 tel que nous le connaissons depuis mars dernier, l’exercice est plus complexe. En effet, un indice de perte de valeur se caractérise par :
- La baisse de la demande, l’annulation, le report de commandes clients …
- L’augmentation des coûts, une interruption de l’activité …
- Des pertes non prévues, des prévisions de budgets revues à la baisse …
- Une baisse de la valeur de marché.
A l’exception peut-être des secteurs de la grande distribution, des biens d’équipements de la maison, du bricolage, des sociétés de matériel informatique, des sociétés basées sur le Digital…, tous les autres secteurs ont été plus ou moins impactés en 2020 par l’un de ces phénomènes.
Pour certains, l’impact a été de courte durée, suivi d’un effet rattrapage. C’est semble-t-il le cas de beaucoup de sociétés dont l’activité est basée sur des biens.
D’autres, en revanche, n’ont pas connu d’effet rattrapage. Il s’agit, bien souvent, des sociétés de services : un service non consommé au mois d’avril ne sera jamais consommé deux fois plus, plus tard. L’effet rattrapage est donc difficile.
Pour mémoire, les services représentent 57% du PIB en France.
D’autres sont durablement touchés, et n’ont toujours pas repris leur activité normale : aéronautique, tourisme, évènementiel, certains loisirs hors domicile.
D’autres enfin, ont été touchés lors de la première phase mais pourraient subir une évolution durablement défavorable sur le long terme : restauration, cinéma, magasins de vêtements, hôtellerie de luxe, voyages d’affaires.
Dans ce climat d’incertitude, l’exercice des tests de dépréciation apparait compliqué.

La tentation à l’attentisme sera grande mais le danger guette :
- Dans le contexte actuel, qui peut nier les indices de perte de valeur ? Les travaux doivent donc être menés sérieusement et être documentés.
- Pour certains secteurs à l’arrêt, il n’y a plus d’activité, ni de transactions sur titres : il n’y a plus de prix de marché. Comment se comparer à des transactions de marché inexistantes et apprécier le pourcentage de perte de valeur ?
- Sur les techniques d’approches prospectives à travers un Business Plan : en l’absence de certitude sur l’arrivée d’un vaccin (6 mois – 12 mois ?) et sur son efficacité, nous sommes passés de modèles prospectifs basés sur des possibilités futures connues et probabilisables, à des situations d’incertitudes totales, où l’avenir ne peut être connu ni estimé par personne : les prévisions sont donc plus hypothétiques et incertaines qu’auparavant,
- Du côté entreprise, personne n’a d’intérêt à déprécier un actif : une dépréciation d’actif a un impact immédiat sur la valorisation boursière et les capitaux propres comptables, ce qui détériore les ratios d’endettement. Par ailleurs, les bonus des dirigeants (stocks options, management package, actions gratuites) sont directement indexés sur la valeur des actions : pourquoi passer une dépréciation sciemment ?
- Du côté contrôle externe : les commissaires aux comptes ou experts comptables se situent entre le marteau et l’enclume. Conscients des impacts désastreux d’une dépréciation pour leurs clients, il leur est difficile de s’inscrire en opposition frontale. En revanche, ils savent bien qu’en cas de dépôt de bilan dans les mois qui suivent, leur responsabilité, pour négligence, pourrait être engagée par les actionnaires.
Afin d’accompagner ce process obligatoire périlleux, et au vu des enjeux (impacts sur les comptes, responsabilités), l’apport d’un expert en évaluation indépendant peut être précieux.
Il pourra ainsi :
- prendre part aux différents débats et apporter un effet modérateur et de neutralité
- proposer, justifier et argumenter une position raisonnable, et acceptable pour l’entreprise comme pour le commissaire aux comptes.
Cette année, le test d’impairment devra, à notre avis, impérativement être accompagné d’un prévisionnel de trésorerie court terme, permettant de justifier l’absence de risque de trésorerie sur les 12 prochains mois. Comment assumer la non-dépréciation d’actifs si la société se retrouve à court de cash dans quelques mois ?
Pour la première fois cette année, le test d’impairment, généralement un exercice de jugement stratégique « long terme » (5 ans et plus), sera également tributaire d’une analyse de trésorerie court terme (à 12 mois).
Frédéric Lemonnier